Excellence Monsieur l’Ambassadeur de France,
Distingués invités,
Je suis très honoré par la décision du Président de la République
Française, Monsieur Nicolas Sarkozy, de me conférer l’insigne d’Officier du
plus prestigieux Ordre de France. Je vous serais reconnaissant, Monsieur
l’Ambassadeur, de transmettre au Président de la France toute ma gratitude.
Permettez-moi, Monsieur l’Ambassadeur, de vous remercier vous et vos
collaborateurs pour cet accueil et aussi pour la cérémonie organisée dans le
cadre hospitalier de l’Ambassade de France à Bucarest.
Si j’ai bien compris, Monsieur l’Ambassadeur, cette haute distinction est
accordée non seulement pour ma carrière au service de mon pays, mais aussi
à la Banque Nationale de Roumanie, dont la politique monétaire – comme
vous l’avez souligné vous aussi – a aidé la Roumanie à éviter la crise
financière. Je vous prie, Monsieur l’Ambassadeur, d’accepter ma
reconnaissance et aussi celle de mes collègues de la Banque Centrale de
Roumanie pour ces appréciations.
Mesdames et Messieurs,
En septembre 2010, lors d’une cérémonie qui a eu lieu à l’Athénée Roumain,
nous avons conclu la série des manifestations dédiées au 130ème
anniversaire de la création de la Banque Nationale de Roumanie. Notre fête
a été honorée par la présence d’une personnalité très distinguée que j’estime
beaucoup, Monsieur Jean-Claude Trichet, le Président de la Banque Centrale
Européenne. J’ai affirmé à cette occasion alors que, si je devais chercher quelques mots clés pour caractériser la Banque Nationale de Roumanie, en fait ce qu’elle a signifié
au cours du temps et ce qu’elle signifie aujourd’hui encore, ces mots serraient, certainement: une institution solide, stable, crédible, réformatrice et dynamique.
Et j’y ajouterais que la reforme profonde et bénéfique subie par notre
institution pendant les 20 dernières années, la reconnexion au Système des
Banques Centrales Européennes n’auraient pas été possibles sans le soutien
reçu, sous diverses formes, de la part d’autres banques centrales et des
institutions financières internationales. Ce soutien consiste particulièrement
en l’appui amical et compétent de la Banque de France, qui nous a accordé
l’assistance technique entre 1991 et 2007.
Je me rappelle avec plaisir mon cher ami Pascal Bouvier et de son assistance
dans les opérations de politique monétaire. Je me rappelle aussi Madame
Danielle Noirclerc-Schönberg et Monsieur François Bouchard, des
personnes très importantes pour les programmes d’assistance technique
accordés par la Banque de France dans le cadre des accords de jumelage
financés par l’Union européenne. Ces deux programmes ont été signés à
Bucarest, par les gouverneurs de la Banque de France, des hommes
remarquables, qui nous ont offert leur soutien personnel pour nous
encourager dans nos efforts de transformation : le Gouverneur Jean-Claude
Trichet en 2000 et le Gouverneur Christian Noyer en 2005.
D’ailleurs, ma carrière professionnelle a été profondément influencée par la
chance que j’ai eue de collaborer directement avec des personnalités
françaises marquantes dans le domaine monétaire et financier – comme
Michel Camdessus et Jacques de Larosière. C’est un devoir d’honneur pour
moi de souligner l’importance de mes contacts avec ces collègues français et
qui m'ont aidé à renforcer mes convictions sur l’importance d’une croissance
durable ou d’une bonne gouvernance économique.
Je dois mentionner également que ma formation professionnelle en tant qu’étudiant
à l’Académie d’Etudes Economiques de Bucarest à la fin des années ’60 et
en tant que jeune chercheur scientifique à l’Institut de l’Economie Mondiale au
début des années ’70 a été influencée par les idées des économistes français.
A cette époque-là, comme aujourd’hui d’ailleurs, c’était une période de grandes transformations et de reforme du système monétaire et financier international.
La célèbre expression formulée par Jacques Rueff pendant les années ’60,
« le déficit sans larmes » concernant l’asymétrie des corrections appliquées
aux balances de paiements dans les conditions de l’étalon or-dollar du
système de Bretton Woods, a des échos particuliers dans ma mémoire d’aujourd’hui
présent, à la fin d’un cycle long de plus de 40 ans, quand j’essaie de prévoir
la manière de réduire les grands déséquilibres économiques et financiers
mondiaux d’aujourd’hui, que vous avez mentionnés vous aussi, Monsieur
l’Ambassadeur. Je partage votre préoccupation, Monsieur l’Ambassadeur –
la croissance de demain ne peut pas se bâtir sur les mêmes bases que celles
sur lesquelles s’était bâtie la croissance du passé. En effet, nous devrons
prévenir la vulnérabilité et éviter les excès que la crise a permis de déceler.
Comme vous l’avez déjà mentionné, Monsieur l’Ambassadeur, la reforme
du système financier international pose en effet trois questions majeures : la
vulnérabilité engendrée par la volatilité des flux de capitaux, l’insuffisance
d’actifs de réserve sûrs, et le besoin de coordination des politiques
économiques, y compris en matière de change. D’abord, je vais aborder les
deux premières questions.
Sur la volatilité des flux de capitaux.
Les vues de la Banque Nationale de Roumanie dans ce domaine ont été déjà
présentées dans le cadre du Conseil Général de la Banque Centrale
Européenne. Nous avons fait ça parce que les afflux massifs de capitaux
pendant 2005-2008 ont compliqué la conduite de la politique monétaire et
les sorties des capitaux après le déclenchement de la crise pendant l’automne
de 2008 ont affecté fortement le cycle de l’économie roumaine. J’ai souligné
en particulier notre inquiétude liée aux vulnérabilités créées par la
prévalence des crédits en devises pour les pays de l’Europe de l’Est (y
compris la Roumanie), inquiétude partagée aussi par le Président Jean
Claude Trichet.
L’insuffisance des actifs de réserve sûrs – le deuxième problème majeur que
vous avez mentionné, Monsieur l’Ambassadeur – me fait penser de nouveau
à l’expérience du cycle de reforme antérieur.
La création « ex nihilo » en 1968 de l’actif de réserve du Fond Monétaire
International, c'est-à-dire les droits de tirage spéciaux (nommé à l’époque or-papier),
a coïncidé avec l’explosion de liquidités internationales sous la
forme d’eurodollars générées par le déficit massif de la balance de paiements
des États-Unis à cause du financement de la guerre du Vietnam. La création
de l’or-papier a été suivie par une série de crises de devises et à la fin, par la
chute du système de Bretton Woods en août 1971. Les journalistes français
ont comparé alors la création de cet actif de réserve avec une « irrigation
pendant le déluge ».
Je me souviens de cette formule parce qu’elle a été aussi utilisée pour mon
mémoire de maîtrise à la fin de mes études à l’Académie des Sciences
Economiques, dans laquelle je soutenais la nécessité d’un actif de réserve
sûr et contrôlable par la communauté internationale. La commission de
l’examen a apprécié ma maîtrise comme inopportune et non
fondée (« irrigation pendant le déluge ») et a proposé, au début, de me
refuser la note de passage. Après beaucoup d’émotions et une longue
argumentation, j’ai reçu la note de passage. J’ai mieux compris que les
problèmes monétaires internationaux étaient bien compliqués. 20 ans après,
quand j’étais déjà devenu Gouverneur de la Banque Nationale de Roumanie,
je me suis rappelé de cette expérience et j’ai du proposer la stratégie de
reconstruire les réserves de mon pays. Même aujourd’hui je me
souviens ces questions parce-que, tout comme au début des années ’70, on a
besoin d’un actif de réserve sûr, tandis que la liquidité internationale semble
avoir augmenté fortement.
L’évocation de ces moments officiels me rappelle aussi les souvenirs sur
mes liaisons personnelles avec la France. Je dois avouer que ces liaisons sont
bien fortes et que leurs racines se trouvent dans mon enfance. Dans ma famille, qui
habitait dans la région de Vâlcea, la France était une présence quotidienne.
Je me souviens aujourd’hui même des récits de mon grand-père, vétéran de la
bataille de Mărăsesti, qui avait une moustache à la Napoleon III et qui était
fasciné par la personnalité du général Henri Berthelot, qui avait contribué à
la reconstruction de l’armée roumaine pendant la Première Guerre Mondiale.
Je me souviens également que „Le petit Larousse” avait une place spéciale sur la table de nuit de mon père. C’était une édition de 1936 en papier pelure, un tome que j’ouvrais toujours avec respect et qui me conduisait vers un autre monde, différent de celui dans lequel je vivais dans la Roumanie des années ’50.
J’avoue maintenant que mon enfance, à l’époque du communisme, a été
bien colorée par la lecture des livres d’Alexandre Dumas, Jules Verne,
Victor Hugo et par les films avec Gérard Philippe, Jean Marais, Fernandel et
Bourvil.
Plus tard, pendant les dernières années du lycée et pendant mes années
d’étudiant, quand la Roumanie a connu une période d’ouverture dans tous
les domaines, mon horizon culturel s’était élargi grâce aux œuvres de Jean
Paul Sartre, Albert Camus, Claude Lévi-Strauss, Louis Althusser et aux „défis”
de Jean-Jacques Servan-Schreiber. Et la pièce les ”Rhinocéros” écrite par le
dramaturge Eugène Ionesco, jouée à Bucarest avec le maître Radu Beligan
en 1968 a été une représentation mémorable. C’est toujours en 1968, que la
visite du général Charles de Gaulle nous a laissé une impression profonde, à moi et
à tous les Roumains.
A partir de septembre 1990, quand je suis devenu Gouverneur, ma liaison
quotidienne avec la France a été maintenue par le Vieux Palais de la Banque
Nationale de Roumanie, rue Lipscani. Un bâtiment d’une harmonie classique
parfaite conçue par deux architectes français : Cassien Bernard, élève et
collaborateur de Charles Garnier, et Albert Galleron. Ion Mincu, le créateur
de l’architecture roumaine moderne, faisait mention, dans ses cours, du fait
que le Vieux Palais de la Banque Nationale de Roumanie était le plus beau
bâtiment de Bucarest à ce temps-là.
Le Vieux Palais de la Banque Nationale de Roumanie me rappelle le fait que
le fondateur de notre institution, Eugeniu Carada, était proche de la France,
où il a fait ses études. C’est grâce à lui que la loi de l’établissement de la
Banque Nationale de Roumanie en 1880, son organisation et son système
comptable ont été inspirés par la loi française.
En 1881, le même Eugeniu Carada a conclu avec Louis Dumont, chevalier
de la Légion d’Honneur, directeur de la Société Anonyme « Papeteries du
Marais et de Saint Marie » de Paris, la Convention pour assurer le papier
nécessaire pour l’émission des billets de banque de la Banque Nationale de
Roumanie. Plus tard, avec le soutien de la Banque de France, la Banque
Nationale de Roumanie a imprimé les premiers billets de banque.
Je pourrais dire sans erreur que notre monnaie (le LEU) est née française,
bien que son nom provienne d’une ancienne pièce d’argent d’origine
hollandaise. Parce que la loi monétaire de 1867 a été inspirée par l’Union
Latine, c’est-à-dire, par la France. On prévoyait que les pièces métalliques
soient confectionnées d’après le modèle des pièces françaises. La loi stipulait :
« Les pièces en or et en argent appartenant à la France, Belgique, Italie et
Suisse seront acceptées sur le territoire de la Roumanie dans toutes les
institutions publiques, de même que le cours légal du pays ». La vocation
européenne de la Roumanie était ainsi exprimée pleinement, en soulignant
en particulier les liaisons durables entre notre pays et la France.
Mesdames et Messieurs,
Je ne peux pas conclure mon discours sans évoquer ma vocation de
viticulteur et de producteur de vins. Même sur les collines de ma région
natale, Drăgăsani, où j’ai un petit vignoble, l’esprit français est bien présent.
Tout premièrement, par la géographie, car Drăgăsani en Roumanie et
Bordeaux en France sont situées au sud de la parallèle 45. Je produis des
vins spécifiques à la région de Bordeaux – Cabernet Sauvignon et
Sauvignon Blanc, dont les variétés ont été climatisées dans ma région natale
à l’aide de la France, après que le phylloxéra ait détruit les vignobles, à la fin
du XIXème siècle. Je mets les variétés françaises mentionnées en
compétition avec les vins roumains de haute qualité, auxquels je tiens
beaucoup, comme Crâmposia et Tămâioasa Românească, vins blancs et
Negru de Drăgăsani, vin rouge. Et je vous assure – je l’ai déjà dit, mais cela me
fait plaisir de le répéter – que le bon vin est difficile à obtenir, de même que la bonne politique monétaire est difficile à mener.
En conclusion, je vous avoue que je suis fier d’appartenir aux Roumains –
quelques uns ici présents – qui ont reçu, au fils du temps, la décoration
d’Officier de la Légion d’Honneur.
Je tiens à remercier la France, le Président Sarkozy, à vous, Monsieur
l’Ambassadeur de France et à vos collaborateurs. A partir d’aujourd’hui, la
Légion d’Honneur sera la liaison la plus solide entre moi et la France.
Mugur Isărescu, Gouverneur, Banque Nationale de Roumanie
Bucarest, le 4 mars 2011